Nouvelle interview de Michele Garufi
Entretien avec Michele Garufi
15/11/2006 - 08h17
Michele Garufi, PDG de NicOx :
Je préfère conserver la tête froide dans les moments d'euphorie comme nous avons su persévérer dans les moments difficiles
Boursier.com : L'actualité de votre société ne cesse de donner des motifs de confiance dans la potentiel de la technologie de délivrance d'oxyde nitrique, ce que la bourse salue à juste titre. Mais cela amène paradoxalement certains actionnaires de longue date à s'inquiéter d'une éventuelle OPA sur NicOx, devenue proie trop tentante pour les labos !
Michele Garufi : Croyez bien que si je détenais personnellement 100% du capital de NicOx, cette hypothèse serait bien la dernière de mes pensées ! Mais notre capital est aux mains du public, et si un jour une offre nous était présentée, j'aurais l'obligation professionnelle -et déontologique !- de la rapporter au conseil d'administration, lequel déciderait de rejeter ou de recommander cette offre aux actionnaires. Je précise bien qu'à ce jour, cette éventualité ne s'est jamais produite, nous n'avons jamais reçu d'offre et ce même quand le cours de la société était (injustement selon nous) sanctionné durement par le marché. Clairement, ce n'est pas moi qui vais me mettre à la recherche d'un repreneur, je ne l'ai jamais envisagé lorsque notre situation semblait au plus bas, je ne vais certes pas m'y mettre aujourd'hui ! Je compte bien faire tout mon possible pour faire grandir NicOx et pour conserver notre indépendance. Il va de soi que je n'ai personnellement aucune envie d'abandonner mon "bébé", une société à laquelle j'ai entièrement consacré les dix dernières années ! Voilà ce que me dit mon coeur, mais professionnellement je devrais le cas échéant me plier aux règles de gouvernance d'une société cotée.
Boursier.com : Il est vrai aussi qu'on n'achète pas des compétences humaines, de la matière grise, comme on rachèterait des usines...
M.G. : En effet, pour ma part je n'ai jamais eu connaissance d'OPA hostile dans ce secteur.
Boursier.com : Les avancées favorables du dossier naproxcinod aux plans clinique et règlementaire vous placent dans une position de force pour négocier un partenariat selon des termes avantageux.
M.G. : Que ce soit bien clair : la recherche d'un partenaire n'est pas notre priorité. Nous avions deux objectifs essentiels ces deux dernières années : le premier était de développer le naproxcinod et de faire la preuve des sa valeur thérapeutique. Nous avons désormais accompli des pas de géant vers la commercialisation effective du produit, en montrant l'effet sur l'activité (ce dont nous n'avons jamais douté) mais aussi sur la pression artérielle, qui semble très prometteur même si nous devons encore valider certaines choses le signal très intéressant que constitue le résultat initial de la première phase 3. Le deuxième objectif était d'éviter, en Europe et aux Etats-Unis, d'avoir à réaliser une étude à deux ans sur les effets cardiovasculaires, étude que nous considérions inutile d'un point de vue scientifique compte tenu de la nature de la molécule qui est en fait une version améliorée du naproxène. L'agence européenne a accepté de suite, la FDA a mis une année, mais au bout du compte l'agence américaine a accepté notre position à 100%. C'est, franchement, un pas très important pour nous.
Boursier.com : Partant de là quels sont vos prochains objectifs ?
M.G. : Nous devons mener à bien les autres études de phase 3. Nous devons déterminer la meilleure façon de différencier notre molécule de celles existant sur le marché ou à venir. Nous avons pour cela toutes les compétences à notre disposition en interne et en externe. Maintenant, en tant que CEO de la société, je ne crois pas qu'il soit possible pour NicOx de lancer seul la molécule sur le marché. Depuis 29 ans que je travaille dans la pharmacie, je n'ai jamais vu une petite société lancer seule un anti-inflammatoire au potentiel de blockbuster. Aujourd'hui, c'est quelque chose d'impossible car cela réclame une force de vente très importante (puisque le médicament serait commercialisé aussi auprès des généralistes, un marché qui nécessite des centaines de visiteurs médicaux). Même dans trois ans, je doute que NicOx dispose de la taille suffisante pour lancer seul le produit.
Boursier.com : Jusqu'à quel point est-il possible d'avancer sans partenariat ?
M.G. : Le lancement commercial est une chose, le développement et le dépôt de la demande d'homologation en sont une autre. Il est possible compte tenu du succès de notre interaction avec la FDA nous décidions de ne pas nouer immédiatement un partenariat. Mais il nous faut bien peser les alternatives, tout dépendra en fait de ce qu'on nous offrira en échange. Dans l'attente de la réponse de la FDA et des résultats initiaux de la première phase 3, nous avions mis en suspens tous nos contacts. Nous allons les reprendre mais si la possibilité se présente de conserver la main un peu plus longtemps sur le développement du produit, et que nous avons les moyens financiers et humains pour le faire, il est évident que plus loin nous allons et plus nous pourrons conserver une part importante des droits. Donc, il n'y a pas de réponse évidente sur la date du partenariat et sur les contreparties que NicOx obtiendra (des fonds, d'autres produits, un support marketing etc. ?). Il ne faut pas être trop gourmand ou de faire des plans irréalistes. Je pense que nous aurons plusieurs opportunités, et j'espère que nous choisirons la meilleure solution. C'est une partie intégrante et délicate de notre travail que de faire le bon choix.
Boursier.com : En somme, vous n'excluez pas d'aller seul jusqu'en 2009 et au dépôt de l'AMM ?
M.G. : A l'extrême limite. Personnellement, je pense qu'il est préférable de trouver avant cela un partenaire fiable avec lequel nous pourrons négocier un bon accord. Pour la raison principale qu'un lancement se prépare dès la dernière phase de développement. Il y a une démarche marketing lourde pour créer de la visibilité sur le produit et cela serait difficile à NicOx seul aujourd'hui. On ne se transforme pas du jour au lendemain d'une société de recherche en une société de marketing.
Boursier.com : Cela devrait calmer certaines ardeurs sur le marché.
M.G. : Le marché européen ne parle que de partenaire. C'est une erreur énorme à mon sens : il faut laisser aux équipes le temps de travailler. Aux USA, nos interlocuteurs sont plus intéressés par les fondamentaux et le développement du produit. On ne me demande pas d'emblée "à quand un partenaire ?" mais plutôt "où en est le développement, telle étude, avez-vous les ressources actuellement pour avancer selon vos plans etc." Si le produit est efficace et qu'il est bien développé, le bon partenaire se présentera de lui-même !
Boursier.com : L'année 2007 vous permettra-t-elle de poser les bases d'un modèle plus intégré ?
M.G. : Tout s'est déroulé au mieux de nos espérances jusqu'ici et si cela se poursuit de la même façon je souhaite effectivement commencer à mettre en place à partir de 2007 cette stratégie pour devenir un acteur intégré dans les niches de marché cardiologie/rhumatologie. Nous devons rester flexibles, pour, dans un scénario idéal, pouvoir choisir entre deux ou trois opportunités solides. Nous sommes donc ouverts à des stratégies multiples de recherche de produits (en acquisitions, en licence pure, en cross-licencing) et pourquoi pas voire en acquisition de petites sociétés si nous continuons à grandir en termes financiers et de capitalisation.
Boursier.com : Capitalisation qui commence à être coquette à plus de 600 millions d'euros...
M.G. : En effet ! Mais vous savez je préfère conserver la tête froide dans les moments d'euphorie comme nous avons su persévérer dans les moments difficiles. Par rapport aux marchés, je préfère rester détaché à court terme.
Boursier.com : Après l'introduction récente d' Innate Pharma, s'annoncent en bourse de nouvelles biotechnolgiques telles Genfit, Biocode Hycell... Est-ce le début d'un véritable rattrapage de la France face aux Etats-Unis par exemple ?
M.G. : J'en suis très content. J'espère, en tant qu'Européen, que c'est effectivement le début d'un rattrapage. Je rencontre au sein du secteur des équipes très bien préparées et très motivées et je leur souhaite le meilleur succès. J'espère que cela permettra l'émergence d'un secteur biotechnologique à la hauteur de la puissance économique de la France. Je suis donc plutôt optimiste pour l'avenir. Mais les marchés -et même le gouvernement- doivent encore mieux appréhender les contraintes des sociétés de recherche. Le secteur a besoin de davantage d'investisseurs spécialisés à même de prendre en compte l'aspect très risqué des biotechs, d'aller au-delà d'un développement qui semble mal se passer etc. Par ailleurs, les autorités peuvent encore améliorer certains points pour aider les sociétés biotechnologiques. Je pense notamment aux règles en cas d'augmentation de capital qui nous interdissent de clôturer le deal si le jour du closing le cours de bourse est inférieur à la moyenne des trois derniers jours de bourse, minorée de 5%. Cette limitation n'existe pas aux USA. C'est une règle bienvenue pour protéger les actionnaires de la spéculation dans les grands groupes mais qui est inadaptée aux sociétés dont le cours est par nature plus volatil comme les biotechs. C'est en partie à cause de cela que nous avons dernièrement effectué un placement privé plutôt qu'un appel au marché. La règle a été assouplie (de dix jours à trois jours) mais elle devrait être complètement écartée dans certains cas.
Propos recueillis par Guillaume Bayre
©2006 Boursier.com
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