Article Le Monde - Biotechs - 27/01/05
BIOTECHNOLOGIES: Le Parlement inquiet de la suprématie américaine
Malgré des efforts, l'Europe et la France peinent à s'imposer dans ce secteur d'activité prometteur.
La situation est grave, mais on ne sait pas très bien comment la redresser : ainsi pourrait-on résumer le rapport sur "La place des biotechnologies en France et en Europe", publié jeudi 27 janvier par Jean-Yves Le Déaut, député (PS) et vice-président de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques. "Après l'informatique, l'électronique, la France s'efface dans le secteur des biotechnologies", s'alarme le parlementaire français qui ajoute que, "malgré les efforts déployés et en dépit de ses nombreux atouts, l'Europe s'est laissée distancer". Un bilan qui ne peut qu'inquiéter.
Le problème ne porte pas sur les compétences des équipes françaises et européennes. A en croire l'indicateur des publications scientifiques, l'Europe est à l'origine, entre 1994 et 1999, de quelque 349 000 publications contre 345 000 aux Etats-Unis. Sur ce total, le Royaume-Uni avec 77 000 publications, l'Allemagne (70 000) et la France (58 000) jouent le rôle de locomotives européennes. Autre indice apparemment favorable, l'Europe compterait plus de sociétés de biotechnologie (1 879) que les Etats-Unis (1 455). Mais leur total réalise un chiffre d'affaires quatre fois inférieur, tandis que les Etats-Unis déposent nettement plus de brevets que les Européens. Et parmi les vingt-trois entreprises leaders au niveau mondial, seulement six étaient européennes en 2002 et aucune n'était française. Les propositions du député pour soutenir un peu plus la recherche et aider au retour des jeunes scientifiques partis aux Etats-Unis peuvent-elles inverser la tendance ?
RELATION ENTRE PUBLIC ET PRIVÉ
Le décalage entre compétence et réalisation économique constitue un paradoxe que souligne M. Le Déaut. Mais il peine ensuite à trouver des explications, sans doute à cause de la difficulté à définir les biotechnologies. L'enjeu principal est celui de la biopharmacie. Mais le député traite dans le même temps des applications végétales (OGM) et qualifie d'"obscurantistes" ceux qui s'opposent à ces produits. Or ceux-ci obéissent à une logique différente, comme l'ont bien compris les sociétés qui ont séparé leurs activités agroalimentaires et pharmaceutiques.
Le rapport achoppe en fait sur la difficulté à définir les biotechnologies. Leur sens "varie selon les secteurs", rappelle M. Le Déaut, puisque la discipline "recouvre de nombreuses techniques et méthodes utilisées dans des domaines d'application extrêmement divers". Cela rend "largement incontournable" une "approche sectorielle", c'est-à-dire ciblant les activités (pharmacie, environnement, génomique, biomatériaux, etc.) plutôt que les biotechnologies en tant que telles. Mais le rapporteur ne s'attarde pas sur cette voie, et évoque le problème crucial de la relation entre public et privé.
Manifestement, la recherche de qualité effectuée dans les laboratoires publics ne parvient pas à se transformer en applications profitables aussi efficacement qu'aux Etats-Unis. Pourquoi ? M. Le Déaut s'interroge en soulignant que ce domaine d'activité n'a pas forcément souffert d'un manque de soutien de l'Etat. "Le secteur de la santé, rappelle-t-il, est celui pour lequel l'investissement public a été le plus massif."
Quelle stratégie doit-on retenir ? "Faut-il aider les sociétés existantes à se développer, ou plutôt favoriser la création de nouvelles sociétés ?" Faut-il s'inspirer du système volontariste mis en place par le Japon qui a pris encore plus de retard que l'Europe dans le développement des biotechnologies ?
CHOIX DE SOCIÉTÉ
La réponse à ces questions n'est claire ni en France ni en Europe. Les seules évidences sont que le modèle américain - insuffisamment étudié - ne fonctionne pas en Europe, et que l'Etat doit définir une stratégie dans ce domaine, ce qui n'a pas été le cas malgré les efforts déployés.
Sans doute cela tient-il à ce qu'il n'a pas su trancher entre des voies différentes : libéralisme total appuyé par des soutiens publics très ciblés (par exemple le programme des Etats-Unis sur le bioterrorisme) ou politique publique s'assumant comme telle. C'est que la politique scientifique renvoie à des choix sociaux généraux, dont l'évocation est paradoxalement absente du rapport du député socialiste.
Hervé Kempf
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire