2005-04-22

Article paru dans Le Monde: L'Amérique se construit un quasi-monopole dans les biotechnologies

Avec 190 médicaments et vaccins commercialisés de par le monde, et plus de 400 produits en développement en 2004, les médicaments d'origine biologique représentent 8 % à 10 % du chiffre d'affaires de l'industrie pharmaceutique mondiale (chiffres 2003), mais déjà 40 % des nouvelles molécules mises sur le marché.

Insuline, facteurs de croissance recombinants, anticorps monoclonaux pour le traitement des cancers, thérapies géniques ou cellulaires... près de 250 millions de patients, de par le monde, bénéficient déjà des avancées de la recherche biotechnologique ­ la "biotech". Selon une étude réalisée en novembre 2004 par le cabinet de consultants Arthur D Little, pour le compte du syndicat professionnel Leem (Les entreprises du médicament), le marché biopharmaceutique devrait atteindre 100 milliards de dollars en 2010 (80 milliards d'euros) et représenter 12 % du chiffre d'affaires global de l'industrie pharmaceutique.

Pour tous les observateurs, il est acquis que les Etats-Unis se tailleront la part du lion sur ce marché stratégique. Une étude comparative d'EuropaBio, l'association européenne des industriels de la biotechnologie, rendue publique, mercredi 13 avril, au salon BioVision de Lyon, a permis de souligner l'avance prise par les Américains dans ce domaine.A partir d'une définition unique, et même restrictive, de la réalité que recouvre le terme "biotech" ­ les incubateurs, les consultants, certains fournisseurs de matériel médical ont été exclus du champ ­, il apparaît tout d'abord que les retards de l'Europe ne reposent pas sur une carence de l'esprit entrepreneurial : en 2003, 1 975 entreprises de biotechnologie ont été dénombrées dans l'Union européenne, contre 1 830 aux Etats-Unis. Ces entreprises sont surtout présentes en Grande-Bretagne (455) et en Allemagne (525), mais la France (225), la Suède (108) et la Suisse (98) occupent des positions significatives.

DÉCALAGE FINANCIER


En revanche, les faiblesses commencent dès que l'on aborde la question de la recherche et de son financement. En 2003 et en 2004, la biotechnologie a bénéficié de 15,7 milliards puis de 17 milliards d'euros d'investissements. A l'exception de l'année 2000, où les marchés financiers, alors au sommet de la "bulle" des nouvelles technologies, avaient investi 40 milliards d'euros, jamais les entreprises du secteur n'ont drainé autant de capitaux.Comment cette manne s'est-elle répartie géographiquement ? Très simplement : les entreprises américaines ont accaparé 85 % de l'argent investi. "Ce fossé, particulièrement apparent pour les entreprises de plus de cinq ans d'âge, est une cause de préoccupation majeure et handicape la compétitivité des biotechs européennes", a expliqué John Hodgson, directeur de l'étude EuropaBio.

Le cas des introductions en Bourse est éclairant. Fin 2003, alors que le secteur finissait de panser les plaies du krach de 2000 et que les marchés boursiers européens restaient obstinément fermés aux "biotechs", six jeunes pousses (start-up) américaines levaient un montant global de 380 millions de dollars sur le Nasdaq. En Europe, seule la britannique Sinclair Pharma créait la surprise en obtenant 12,6 millions d'euros, en 2003, à Londres. En 2004, le climat ayant changé, 15 entreprises européennes ont été cotées, levant au total 414 millions d'euros.Sur la même période, 32 entreprises américaines ont levé 1,27 milliard d'euros.

EuropaBio affirme que ces décalages financiers n'apparaissent justifiés par aucune "avance particulière dans les programmes technologiques ou dans les développements cliniques". "En revanche, les entreprises américaines avaient grandi plus vite et avaient investi des montants plus importants en recherche et développement", précise l'étude.Les investisseurs présents au premier tour de table d'une jeune pousse peuvent, aux Etats-Unis, se montrer d'autant plus généreux avec ces entreprises grandes consommatrices de liquidités, qu'ils sont souvent assurés de retrouver leurs capitaux à moyen terme, grâce au Nasdaq, le marché boursier consacré aux entreprises de technologie. "Non seulement le Nasdaq fournit du cash à des entreprises qui en ont besoin, mais il sert de réassurance à des primo-investisseurs soucieux de retrouver tout ou partie de leurs capitaux", souligne l'étude européenne.

Ce décalage financier engendre des inégalités en série entre les deux rives de l'Atlantique. Les entreprises américaines de biotechnologie emploient deux fois plus de personnes (172 400 salariés) ­ donc de chercheurs ­ que les européennes (94 200). Ces dernières investissent presque trois fois moins en recherche et développement (6 milliards d'euros) que leurs rivales américaines (16,4 milliards d'euros en 2003), qui ont une capacité d'endettement quatre fois supérieure (5,9 milliards d'euros en 2003).

Sauf à regrouper ses forces, l'industrie européenne n'apparaît pas en mesure de disputer sa suprématie à son homologue américaine. Elle est trop divisée. Première en Europe, sur ce secteur d'avenir, la Grande-Bretagne ne représente que 10 % de la biotechnologie américaine, et communique peu avec l'Allemagne et encore moins avec la France. Marchés, chercheurs et projets de recherche demeurent cloisonnés.

Au point qu'en France, pour beaucoup de créateurs d'entreprises de biotechnologie, l'avenir apparaît sous la forme d'une fusion avec une entreprise américaine ou d'une introduction au Nasdaq. La construction d'une Europe de la recherche et de l'innovation reste à faire.

Yves Mamou
Article paru dans l'édition du 23.04.05

source:

http://www.lemonde.fr/web/article/0,1-0@2-3234,36-641877@51-641990,0.html

En France, le secteur est boudé par les marchés financiers

Nicox est la dernière start-up de biotechnologie à avoir pu s'introduire à la Bourse de Paris. C'était en 1999. Depuis, seul bioMérieux ­ qui n'a rien d'une jeune pousse mais se développe dans la biotechnologie ­ a sauté le pas, en 2004. En Grande-Bretagne, pas moins de 18 laboratoires de biotechnologie ont attiré un total de 310 millions d'euros en 2004.


"L'émergence de Londres comme place boursière dominante des biotechnologies en Europe s'explique notamment par l'existence, depuis novembre 2001, de l'indice techMARK Mediscience", explique Louis-Marie Bachelot, consultant d'Alcimed. Cet indice, représentatif du secteur biomédical, a progressé de 32 % en 2004 et a dépassé de 52 % la valorisation des grands laboratoires.

En France, la dynamique financière ne prend pas. S'il existe bien, d'un côté, des fonds d'amorçage richement dotés et des capital-risqueurs en quête d'occasions, et de l'autre, des ingénieurs créatifs et des jeunes pousses innovantes dans la biotechnologie, ces deux mondes ne se rencontrent guère. Et les laboratoires s'étiolent faute de financement.

Retoquée en 2004 à la Bourse de Paris, la société française IDM a ainsi dû racheter Epimmune, cotée au Nasdaq, pour valoriser ses travaux auprès d'investisseurs. Enzynomics, spécialisé dans la recherche de catalyseurs biologiques pour l'industrie chimique, a été contraint de fermer faute de capitaux, tout comme Valigen, qui développait des techniques génomiques. Urogène n'a dû sa survie qu'à son passage dans le giron du groupe Pierre Fabre, tandis que Entomed ou Bioprotein cherchent des financiers désespérément.

Ayant échoué à créer les conditions favorables au développement des biotechnologies, voilà vingt ans, la France a du mal à faire fonctionner un dispositif d'aides créé il y a quelques années. Le Nouveau Marché a ouvert en 1996 pour accueillir les jeunes pousses de haute technologie et, en 2003, un statut de la Jeune entreprise innovante (JEI) a presque défiscalisé l'investissement.


UNE URGENCE


En 2004, le financement de la recherche par dons et legs a été institué, et en septembre, assureurs et mutuelles ont annoncé leur intention de consacrer 6 milliards d'euros, pris sur les fonds d'assurance-vie, à la capitalisation des "PME à fort potentiel". A cet arsenal s'ajoutent la création d'une agence nationale de la recherche et la création de pôles de compétitivité. Autant de preuves d'une prise de conscience politique.

Lundi 25 avril, le Conseil pour l'attractivité de la France, créé à Matignon il y a six mois, devrait proposer de nouveaux outils pour que la biotechnologie survive en France. Une urgence, car malgré la richesse du terreau, les jeunes pousses dépérissent. Philippe Pouletty, président de France Biotech, se bat pour créer un statut de la Jeune entreprise cotée (JEC), qui permettrait des défiscalisations pour inciter les investisseurs à s'intéresser aux entreprises de moins de 2 000 salariés et de moins de 150 millions d'euros de chiffre d'affaires.

La société de conseil Alcimed, de son côté, propose un programme en six points qui passe par la création d'un fonds d'amorçage dédié aux biotechnologies, une concentration de l'investissement public sur les premiers tours de table, des réductions d'impôts pour les personnes investissant dans des entreprises innovantes, etc. Reste que tous ces dispositifs ont un coût, sur lequel le ministère de l'économie a son mot à dire.

Yves Mamou
Article paru dans l'édition du 23.04.05

source:

http://www.lemonde.fr/web/article/0,1-0@2-3234,36-641879@51-641990,0.html

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