2005-06-11

Le Figaro: Des soupçons pèsent sur tous les anti-inflammatoires.

Martine Perez
[11 juin 2005]


En octobre 2004, la firme Merck annonçait le retrait du marché de son anti-inflammatoire vedette, le Vioxx (de la famille des coxibs), en raison d'une étude mettant en évidence une augmentation du risque d'atteinte cardiaque lors d'une utilisation à long terme. Hier, dans le British Medical Journal, des chercheurs britanniques ont publié une enquête étonnante qui conclue que tous les anti-inflammatoires majoreraient le risque d'attaque cardiaque, qu'ils appartiennent à cette nouvelle famille dite des coxibs ou qu'ils soient plus anciens.


Ce nouveau travail vient compliquer un peu plus le dossier déjà assez complexe des liens entre anti-inflammatoires (des médicaments largement prescrits contre les douleurs de l'arthrose et des rhumatismes en général) et complications cardio-vasculaires. Les coxibs, d'abord présentés comme la panacée du fait d'une tolérance gastrique supposée meilleure avant d'être voués aux gémonies en raison d'un risque cardiaque accru, ne seraient-ils pas au final ni mieux ni moins bien que les anti-inflammatoires classiques ? Dans la mesure où les coxibs ont bénéficié d'investigations plus poussées que les anti-inflammatoires anciens – mis sur le marché à une époque où les exigences des autorités sanitaires étaient moindres –, ce nouveau travail soulève la question d'une réévaluation complète de l'ensemble de cette famille de médicaments.


La dernière étude publiée donc cette semaine dans le British Medical Journal s'est intéressée aux différentes molécules anti-inflammatoires prescrites en Grande-Bretagne. Julia Hippisley (professeur d'épidémiologie clinique à l'université de Nottingham) et Carol Coupland (experte en statistiques) ont répertorié, à partir d'une base de données de médecins généralistes anglais, tous les cas d'infarctus entre août 2000 et juillet 2004 frappant pour la première fois les patients de ce registre. Elles ont ensuite recherché pour chacun d'entre eux une éventuelle prise d'anti-inflammatoires dans les trois ans précédant l'accident cardiaque. Et ont alors comparé ces malades à une population témoin de même âge, de même sexe et de même niveau social, mais n'ayant jamais été victime d'infarctus.


Les résultats sont inédits. Ils révèlent, d'une part, que les patients ayant souffert d'un infarctus ont plus souvent consommé des anti-inflammatoires que les témoins. Ils nous apprennent ensuite que le risque d'infarctus varie en fonction du type de médicaments consommés. Ainsi, ce risque est augmenté de 55% avec le diclofenac (Voltarène), de 21% avec le celecoxib (Celebrex), de 32% avec le rofecoxib (Vioxx) et de 24% avec l'ibuprofène (Advil)... De même le risque est un peu plus élevé avec le naproxène (Apranax), alors que l'étude Vigor publiée en 2000 avait suggéré une réduction du risque avec ce médicament.


Comment interpréter ces données ? Les auteurs soulignent qu'il n'est pas possible d'exclure l'existence de biais méthodologique. Par exemple, on peut imaginer que les malades ayant souffert ultérieurement d'un infarctus aient eu dans les années antérieures des signes cardiaques avant-coureurs, avec des douleurs thoraciques ou dans les membres supérieurs, interprétées comme étant des rhumatismes et traitées avec des anti-inflammatoires, alors qu'il s'agissait peut-être de douleurs d'angine de poitrine. Les auteurs soulignent cependant que leurs données sont compatibles avec d'autres enquêtes récentes ayant également suggéré un lien entre anti-inflammatoires et infarctus.


«Notre travail n'accrédite pas l'idée que seul le rofecoxib ou les coxibs en général majore le risque cardio-vasculaire, puisque nous observons les mêmes effets avec d'autres anti-inflammatoires, expliquent-ils en conclusion. Il s'agit d'un travail d'observation pouvant être sujet à certains facteurs de confusion. Nous pensons néanmoins que les interrogations sont désormais suffisantes pour que soit complètement reconsidérée la sécurité cardio-vasculaire de tous les anti-inflammatoires.»


Selon le professeur Nicholas Moore, pharmaco-épidémiologiste (Bordeaux-II), cette étude est très importante, même si effectivement on ne peut pas exclure certains biais. «Cependant poursuit-il, il faut bien souligner que le risque cardio-vasculaire, en supposant qu'il soit accru avec les anti-inflammatoires, reste très faible. Dans ces conditions, il n'y a pas de raison d'affoler les personnes qui prennent ces médicaments.» De surcroît, ces travaux ont été menés dans des pays anglo-saxons, où le risque cardiaque de base est plus élevé qu'en France. L'équipe de Nicholas Moore vient d'ailleurs de boucler une vaste enquête française «Cadéus» portant sur plus de 46 000 personnes sous anti-inflammatoires. Les résultats, bientôt publiés, seraient plutôt rassurants : le taux de complications digestives serait très faible tant avec les coxibs qu'avec les autres anti-inflammatoires puisque les médecins y associent désormais très largement des protecteurs gastriques. Quant aux risques cardiaques, il ne semble pas différent selon les molécules utilisées, même si l'analyse sur ce point n'est pas encore achevée.


Ces données anglaises, si elles se confirment, devront inciter aussi à une analyse critique approfondie des «affaires» Vioxx et Celebrex, tant en ce qui concerne les campagnes de marketing démesurées lors de leurs lancements que les discours virulents au moment du retrait du Vioxx.

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